Introduction
Le titre de cet article va peut-être sembler étrange ou intriguer quelques-uns d’entre vous, car penserez-vous, habituellement, c’est l’enfant qui nous interrompt à multiples occasions dans nos conversations d’adultes. J’ai d’ailleurs trouvé une multitude d’articles sur internet expliquant comment faire cesser l’enfant de faire une telle chose. Et pourtant, vous avez bien lu, il sera ici question du pourquoi nous ne devrions pas interrompre l’enfant qui raconte.
Débutons par un petit scénario
Pour débuter, et avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais vous faire voyager au cœur de vos souvenirs. Souvenirs de lorsque vous étiez enfant, ou adulte, à votre choix, et où vous avez été interrompu. Je suis certaine que vous avez des souvenirs précis de ces instants. Débutons avec les souvenirs d’adultes, étant donné qu’ils sont plus frais à notre mémoire. Je vous écris ici un petit scénario le temps que vos souvenirs remontent à la surface.
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Vous vous dirigez super enthousiaste pour raconter ce qui vient de vous arriver. Subitement votre interlocuteur vous coupe dans votre récit pour vous poser une question qui lui vient en tête. Vous lui répondez tout en essayant de garder le fil de votre explication. À la deuxième question, vous lui dites « attends je n’ai pas terminé » ou « attends, je vais terminer ». Tout à coup, la personne vous interrompt à nouveau pour vous raconter un fait similaire qu’elle a aussi vécu. Vous l’écoutez, mais sentez votre fougue du départ diminué peu à peu, et lorsque la parole vous revient, vous écourtez votre histoire ou la racontez avec moins de passion. Pourtant cette personne coopérait, participait à votre récit. Vous vous êtes même surpris à vous demander si ce que vous disiez l’intéressait vraiment… Vous vous êtes aussi interrogé sur votre réaction et votre frénésie à savoir si celle-ci était exagérée…
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Dans ce scénario, il s’agit d’un fait heureux, cependant, nous nous faisons aussi interrompre lorsque nous racontons et que nous sommes émotifs, à fleur de peau, lorsque nous vivons de l’anxiété, une grande peine, etc. Rappelons-nous comment c’est difficile de raconter, nous centrer, répondre, recommencer où nous étions rendus.
Observons
En tant qu’adultes, nous faisons face de façon constante à ce genre de situation. Si nous écoutons les conversations autour de nous, il est très facile de nous rendre compte que les gens, pour la plupart, ne savent pas écouter. Ils coupent l’autre, essaient de devancer ce qui va être dit, racontent leurs propres histoires, conseillent, se rappellent d’une histoire drôle et la raconte, pensent à un fait qu’ils doivent dire à quelqu’un dans la pièce et le lui dit, répondent à un message texte… L’écoute, la vraie, celle où nous nous sentons entendus et compris est une denrée très rare et lorsqu’elle se présente, nous nous sentons tellement bien, apaisés, rassurés.
Et pour l’enfant?
L’enfant subit aussi toutes ces façons d’être interrompu, et à cette liste s’ajoute ceci :
-est-ce que tu as bientôt fini?
-On ne dit pas « si j’aurais, mais si j’avais ».
-Ne parle pas si fort, tu es à côté de moi.
-Cesse de te dandiner lorsque tu me parles, tiens-toi droit.
-Arrête de tripoter ta chemise, tu abîmes le tissu, tu vas finir par le déchirer.
-Ne parle pas si vite, calme-toi.
-Cesse de marmonner lorsque tu me parles.
-Là tu me donnes trop de détail, viens-en au fait, je n’ai pas toute la journée.
-Attends deux secondes (la personne inscrit un fait à ne pas oublier), OK, tu peux continuer.
Voici seulement quelques exemples, je pourrais continuer à en énumérer encore et encore. Mais que ce passe-t-il dans la tête et le cœur de l’enfant qui se fait interrompre par l’une de ses phrases? Comme je le dis souvent, chaque enfant est unique, il réagira donc « à sa façon » :
-un enfant gêné, à qui cela demande un effort incroyable pour venir vous raconter, sera perturbé de se faire interrompre, il peut même penser au fond de lui que ce qu’il dit, dépendamment de ce qu’il raconte, n’est pas intéressant.
-Un enfant qui a de la difficulté à s’exprimer n’aimera pas recommencer ses explications.
-Un enfant qui est renfermé écourtera sans doute son récit.
-Un enfant exubérant se sentira frustré, mais continuera en passant outre aux remarques qui lui parviennent ou se fâchera en disant « tu n’écoutes rien de ce que je te dis! »
La communication est un art
La communication est un art, et très peu d’entre nous parvenons à bien communiquer. Peter Drucker disait ceci : « La chose la plus importante en communication, c’est d’entendre ce qui n’est pas dit. » Il y a aussi cette citation de Marc Aurèle : « Être attentif à ce que l’autre dit n’est pas suffisant, c’est écouter son âme qu’il te faut. » Avec un enfant, il faut parfois aller au-delà de ce qui est dit pour percer les mystères de son cœur : ses désirs inavoués, ses peines cachées… et qui d’autres que ses parents peuvent y accéder? Cependant, pour y parvenir nous devons savoir écouter.
C’est OK de reprendre l’enfant pour lui enseigner la bonne façon de dire, ou de lui poser des questions, ce qui prouve notre intérêt, cependant, l’important est de ne pas le faire lorsque celui-ci nous raconte. Nous avons deux oreilles, une bouche. Nous devrions écouter deux fois plus que nous parlons. Ceci pour cinq raisons :
-en premier lieu, pour ne pas lui faire perdre le fil de ce qu’il veut nous dire.
-Deuxièmement, pour ne pas intervenir dans sa façon d’être, dans sa façon de raconter, dans la façon dont il se sent lorsqu’il nous raconte, lui laisser exprimer son émotion en totalité.
-Troisièmement, pour ne pas qu’il croit que sa façon de raconter nous intéresse plus que ce qu’il raconte.
-Quatrièmement, pour percer les non-dits.
-Cinquièmement, pour toujours garder le lien, pour que l’enfant ait toujours le désir de venir nous raconter, car il sait qu’il est écouté et compris.
Ne jamais couper le lien
Ce lien il se bâtit lorsque l’enfant est tout petit et il évolue à mesure que l’enfant grandit. Il est important de le cultiver, car il est la clé d’une belle relation, une relation de confiance et de respect. Savoir écouter, ce n’est pas seulement ne pas interrompre, mais c’est aussi savoir accorder du temps, être disponible, ne pas juger, écouter ce qui est dit et non « ce que nous croyons qui est dit ». Il n’est pas toujours facile de se confier, et lorsque l’enfant le fait, il peut être heureux, mais il peut aussi être fragile et vulnérable, il peut avoir peur de le faire. Le fait de se faire interrompre fragilise encore plus la façon dont il se sent. Un peu comme le funambule qui prend tout son courage pour avancer sur le fil, qui avance doucement, mais que soudainement il se met à venter, et que ce vent le déstabilise. Ici, ce vent peut représenter « être interrompu ». Pour l’enfant, le fait de ne pas se faire interrompre lui permet de se centrer, de rassembler ses souvenirs, de raconter les faits, d’exprimer ses émotions. S’il n’est pas interrompu, tout comme le funambule, il se sentira heureux d’avoir réussi à traverser sur ce fil (d’avoir raconté), il se sentira apaisé, aura renforci sa confiance en lui, sa confiance en vous qui l’avez soutenu tout au long du parcours de son récit. Il pourra vous voir comme le grand bâton qui l’aide à garder son équilibre sur le fil, ou comme le filet qui sait le rattraper en cas de chute. Mais dans les deux cas, il sait que vous êtes là, pour lui, et ceci est précieux.
Conclusion
Notre rôle de guide en est un de taille, chacune de nos paroles, chacun de nos gestes, peut avoir une influence et nous n’en saisissons pas toujours l’importance. Ne minimisons jamais l’importance de l’écoute. Pour nous les propos de l’enfant peuvent parfois sembler futiles, exagérés, amplifiés, ou banales, mais pour lui, ils sont à la hauteur de son récit, ils sont bien réels. Nous ne devrions jamais lui dire « Oh! Ce n’est que ça? » « Tu ne crois pas que tu en fais tout un drame? » Ces simples pensées peuvent brimer notre écoute et sa confiance, elles peuvent freiner son désir de venir nous raconter par la suite. Je le répète, pour l’enfant, ce qu’il raconte est à la hauteur de son récit. Il nous est tous arrivé d’aller dans un endroit où nous allions lorsque nous étions petits et nous surprendre à penser « ce lieu me paraissait si grand, immense à l’époque ». Il en est de même avec les émotions des enfants, les joies sont extraordinaires et les peines désastreuses. À nous de nous faire rassurants et d’être de bonne écoute. S’il s’agit d’une émotion de peine, de déception, d’hésitation ou autre, notre écoute soulagera l’enfant, lui permettra de trouver sa solution. S’il s’agit d’une émotion de joie, il sera fier de l’avoir partagé avec nous. Mais dans les deux cas, il appréciera l’authenticité de notre écoute.
Je vous souhaite une magnifique écoute et je vous dis merci d’être là pour ces petits êtres qui ont tant besoin de notre présence, de notre amour et de notre soutien.